30/07/2011

Les femmes, les prisonniers et le droit international


Quelques jours dans le village d'Al Ma'sara, ça change de l'ambiance de Jérusalem !
Encore des situations hallucinantes que je vous raconte avec plus d'une semaine de retard...
Voir et entendre est une chose : sur le moment, la concentration pour comprendre anesthésie un peu les émotions, Mais quand il s'agit d'écrire, de réutiliser et traduire toujours ces mêmes mots de la guerre, de l'injustice et de l'enfermement, c'est très lourd. D'où le retard dans l'écriture, il faut aussi du temps pour débriefer. Et s'aérer l'esprit, quand on a le privilège de le faire comme nous ici, Palestiniens pour quelques jours seulement...

Vendredi soir : un petit documentaire sur la vie de familles palestiniennes filmées par elles-mêmes. Une fenêtre sur l’intimité de leur quotidien avec coupures d’électricité, d’eau, les problèmes d’argent, les populations délaissées qui vivent dans des cavernes en reconstruisant pour la énième fois leur maison a la main... Un focus particulier sur les jeunes enfants qui, paradoxalement, accroît le sentiment angoissant de leur tragédie de vie tout en donnant une touche légère, voire gaie, au film.


Samedi 30 juillet : Journée de rencontres a Ramallah

Les femmes

Rita, de l’Union des Comités de Femmes Palestiniennes (UPWC), nous présente son organisation créée en 1980, qui comprend 6000 membres. Rita souligne le rôle important des femmes pendant la première intifada notamment, en manifestations, pour le boycott et en solidarité avec les prisonniers. Elle explique la divergence entre les associations de femmes qui ont soutenu les accords d’Oslo dans le sens des grosses ONG et des organisations gouvernementales, et celles qui les ont refuses comme l’UPWC, qui travaille plus directement sur le terrain avec plusieurs programmes d’« empowerment » pour permettre l’implication des femmes dans la société : aide a l’indépendance économique, travail sur le changement des lois pour une meilleure participation a la vie politique et syndicale, soutien aux études, activités pour les enfants...  Rita insiste sur l’importance de travailler avec toute la société, et pas seulement les femmes, pour faire changer les mentalités traditionnelles (par ex les conventions liées au mariage, le droit de choisir son mari...). Mais évidemment le problème principal des femmes en Palestine est, comme pour les hommes, l’occupation et la colonisation au quotidien. L’UPWC a participe au rapprochement pour l’unité nationale entre le Fatah et le Hamas (déclaration du Caire il y a 2 mois) ; elle précise : 
« Tout le monde reconnaît la légitimité de l’OLP (pas de l’Autorité palestinienne), et le Hamas fait partie de notre peuple. J’ai honte de cette division, mais je sais que vous êtes conscients qu’elle est créée par l’occupation. » Et si le Hamas était effectivement réélu ? « C’est le rôle des minorités de se battre pour leurs droits. »
Mais elle se bat surtout pour une « réelle démocratie » (petit clin d’œil aux « Indignés » au passage...), participative, et pas seulement un face à face entre deux partis.
Sur la reconnaissance de l’État palestinien par l’ONU en septembre, c’est une opportunité de mettre Israël devant ses responsabilités face à l’ONU, et pas que les USA :
« Les négociations dans le cadre d’Oslo ayant échoué, nous allons réouvrir les portes de l’ONU, mais cela ne changera rien sur l’occupation. » En tout cas, après les révolutions arabes, il y a eu de gros mouvements de jeunes palestiniens qui sont de plus en plus actifs.
L’Union est impliquée dans des réseaux internationaux comme les Forums Sociaux Mondiaux (prochain FSM sur la Palestine au Brésil en 2012).
On se reverra donc... 

Le droit international

Rencontre suivante : Salma, de l’ONG Al Haq, la plus vieille association de droits de l’Homme de Palestine et, parait-il, du monde arabe, créée en 1979 par des avocats pour mettre en évidence les violations du droit international par Israël. Elle fait de la recherche et du soutien juridique du plaidoyer et de la documentation.


L’intervention commence par un panorama en 3D édifiant du Mur dont le trace serpente a l’intérieur du territoire palestinien afin de manger de plus en plus de terres, de séparer de plus en plus de cultivateurs de leurs champs, de réserver de plus en plus de terres pour les colonies, d’encercler de plus en plus de maisons... comme celle d’Amer, encerclée par le Mur, avec une grande façade aveugle juste en face, et des caméras partout qui l’obligent à se calfeutrer. Comme les Palestiniens n’ont pas les moyens de se voir rendre justice par la justice israélienne face à l’impunité générale de l’occupant, El Haq s’attaque aux entreprises et gouvernement étrangers qui collaborent en Palestine. Salma nous explique la grande complexité des législations en Palestine, régies tantôt par le droit jordanien ou égyptien a Gaza, héritées du droit britannique ou ottoman, plus évidemment toutes les lois israéliennes de l’occupant et tous les ordres militaires qui utilisent la « sécurité » a tout bout de champ pour justifier l’injustifiable.
Concernant le droit international humanitaire, les griefs contre Israël s’accumulent inlassablement : attaque disproportionnée, vol et destruction de propriétés (reconnus par la Cour Internationale de Justice), colonisation (violation reconnue même par le conseil de sécurité de l’ONU), transfert de populations en dehors des territoires occupes. Des instruments de la juridiction internationale existent pour sanctionner les violations de ces droits, la Cour Internationale de Justice (CIJ) qui a dénoncé le Mur, la Cour Pénale Internationale et différents recours de saisine internationaux compliques. Mais ces instruments sont limites selon les cas par la nécessite d’être reconnus par les pays concernés, ou par le fait qu’ils ne ciblent que des personnes et pas des états, ou par l’inapplication des sanctions pour des raisons politiques...
Elle nous parle cependant d’une victoire récente contre une société hollandaise nationale participant au Mur, qui a du en désinvestir suite une condamnation de la loi hollandaise elle-même.

Les prisonniers

Dernière organisation rencontrée : AddameerIsraël ainsi qu’en Palestine. 700 000 hommes ou femmes sont ou ont été emprisonnes en Israël, soit 20% des Palestiniens. 5000 a 5500 le sont actuellement, dont 35 femmes et 211 mineurs, dont 39 de moins de 16 ans, ainsi que 2030 personnes en détention administrative. Les Palestiniens sont faits prisonniers aux check-point, dans la rue, en manifestation, dans leurs maisons... Les familles ne savent jamais pourquoi et ou leurs prisonniers sont emmenés. Officiellement, les prisonniers politiques le sont soit pour des actes militaires soit pour « trouble a l’ordre public » (la grande majorité du temps), ou encore pour appartenance a un parti politique illégal (dont tous les partis membres de l’OLP, qu’Israël reconnaît pourtant comme interlocuteur diplomatique !), ou pour actes criminels (dont le fait d’entrer en Israël illégalement). Sur les 19 prisons israéliennes, 1 seule est basée en Cisjordanie, ce qui est contraire au droit international humanitaire car cela empêche notamment la visite des familles. Seuls les enfants de moins de 9 ans peuvent toucher leurs parents lors des visites. Les avocats sont souvent des Palestiniens de Jérusalem ou d’Israël puisqu’il est très difficile pour les Palestiniens de Cisjordanie de se rendre en Israël. Les prisonniers peuvent rester 90 jours sans avocat et 6 mois en interrogatoire avant que la procédure juridique commence. La torture est pratique courante, même si elle a été restreinte en 1999 par la décision de la Cour de justice israélienne de la bannir. Mais jamais aucun tortionnaire n’est ou n’a été poursuivi pour ses actes en Israël. Les procès militaires sont faits dans des conditions inéquitables (problèmes de partialité et d’incompétence). 95% des prisonniers politiques plaident coupables, par pragmatisme, car s’ils s’acharnent la sanction sera plus dure pour avoir fait perdre du temps aux juges.
700 mineurs passent en procès par an, sachant qu’à partir de 16 ans ils sont traités comme des adultes.
La détention administrative sans jugement est quant a elle basée sur le secret, pour une durée indéterminée. Pas de charges, pas de défense possible, l’avocat peut poser tous les 6 mois des questions au juge pour essayer de comprendre l’accusation mais il ne peut pas poser la question directement. Le juge lui-même n’a souvent pas tout le dossier en mains. Quelques avocats israéliens connus défendent les leaders palestiniens gratuitement, mais les autres en ont pour leur poche. Les Palestiniens ayant la citoyenneté israélienne sont traités comme les autres Palestiniens mais sont juges devant les tribunaux civils et non militaires. Quand aux Israéliens qui tuent des Palestiniens, ils craignent peu, et ne sont souvent même pas arrêtés.

Alors que pendant l’intifada les personnes arrêtées étaient surtout des activistes, la mode actuelle est d’arrêter les enfants en manifestations pour punir les leaders surtout à Jérusalem-Est et Hébron, ou des sympathisants supposés du Hamas. Les grèves de la faim échouent, Israël sait diviser les prisonniers et éviter la transmission d’informations entre eux. Addameer nous alerte sur la nécessite de défendre les prisonniers politiques palestiniens en tant que groupe, alors que certains de leurs partenaires aimeraient faire le « tri ».

Concernant les prisonniers politiques palestiniens faits par l’Autorité palestinienne elle-même, le système juridique n’est pas clair pour un état qui n’en est pas – encore – un. Depuis 2007, beaucoup d’arrestations du Hamas par le Fatah et inversement a Gaza. L’Autorité palestinienne prend parfois le relais d’Israéliens pour réincarcérer les prisonniers libérés, et sur le même motif. Ils passent la frontière cisjordanienne et sont aussitôt arrêtés. Preuve de la coopération criminelle entre les 2 « « états » ».

 L'équipe d'internationaux du séminaire "Bridges instead of walls", et nos accompagnateurs de l'AIC.

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