06/08/2011

Al Walaja, village-prison

Le village d'Al Walaja est appelé "petite Palestine" par Sheerin Abu Ali, qui nous le fait visiter : "parce que tout ce qui se passe en Palestine se passe ici".
Effectivement, Al Walaja est un village particulièrement en ligne de mire, les événements de ces jours-ci le démontrent clairement. Il se situe en effet en Cisjordanie tout près de la frontière israélienne. A l'Ouest : Israël. Au Nord aussi (Jérusalem-Ouest). A l'Est et au Sud-Ouest : des colonies israéliennes. Au Sud-Est : Bethlehem, seule voie de sortie du village. La stratégie israélienne est claire et patente : asphyxier le village en l'encerclant avec le Mur !


Le village faisait 18 000 dunums (1800 km2) en octobre 1948. Sheerin nous dit que c'était le dernier village à avoir fui la vague de massacres de la Nakba ("la Catastrophe") vers les camps de réfugiés ! Le village a ainsi perdu 11 000 dunums. Quand l'""armistice"" de 1949 fut signée, des réfugiés sont revenus petit-à-petit, et ont dû vivre dans des grottes en attendant de reconstruire un nouveau village à côté de l'ancien mi-détruit, mi-confisqué. Sheerin nous explique que sa propre famille a dû vivre pendant 12 ans dans une grotte. Depuis la guerre de 1967, la moitié du nouveau village a à nouveau été prise par Israël. Considérés comme "présents-absents" (terme officiel), les Palestiniens vivant du "mauvais côté" doivent prouver à Israël leur propriété !
Depuis, des villes-colonies ont poussé près du village, dont Gilo. 40 000 habitants !

En 2009, le Mur s'est construit en 9 mois, avançant encore dans le village : face à leur plainte, la Cour a dit que... c'était trop tard pour changer le tracé. Le plan d'encerclement du village prévoit un tunnel pour y accéder, et une barrière contrôlée. Tout le reste : un Mur. Haut. Froid. Gris. Dur.
 Une Prison !

Al Walaja ne fait maintenant que 2400 dunums.
Un tiers des maisons du nouveau village sont déjà détruites (comme d'habitude : l'occupant n'a accordé aucun permis de construire parce qu'aucun recensement de leur existence). Plus de 90 ordres de démolition sont actuellement en cours.

"On a peur de devoir partir quand le Mur sera fermé et qu'on sera pris en otage. Vous rendez-vous compte ce que ce sera de dépendre de l'avis d'une personne, un jeune soldat qui garde l'entrée, pour pouvoir aller travailler ?"

La ville de Bethlehem est proche d'ici, les gens vont à la clinique là-bas, mais sera-t-elle encore si proche quand le Mur sera fermé ? Sheerin nous montre une école avec le drapeau de l'UNRWA (agence de l'ONU qui s'occupe des réfugiés) : ils n'ont pas pu détruire l'école à cause du drapeau, alors ils ont détruit la route qui y mène.

"Qu'est-ce que cela veut dire de nous accorder un état avec un territoire coupé en petits morceaux avec des murs et des routes fermées partout ?"

Une maison se situe à l'extérieur du Mur : elle va être encerclée  par un Mur de 4m de haut. Le tunnel pour en sortir coûtera 3 millions de NIS (590 000€) !
Et ce sont les Palestiniens qui doivent payer pour faire démolir leur maison, sous peine de prison.

Une anecdote dans ces situations ubuesques : en haut du village où nous marchons, il y a une maison palestinienne qui a été stoppée dans sa construction. Les colons qui avaient construit leur belle maison juste de l'autre côté de la route ont fait cesser sa construction parce qu'elle menaçait de leur gâcher le paysage. Moralité : le Mur a été construit juste entre les 2, et maintenant c'est un magnifique bloc de béton gris que les colons ont dans leur ligne de mire !

Il faut voir ces 3 minutes de reportage sur France 24 :


Nous prenons ensuite un petit bus pour aller sur le lieu présenté dans cette vidéo, en bas du village. Ici résistent des arbres plusieurs fois centenaires, comme des pins... et un des plus vieux oliviers du monde (entre 3600 et 4000 ans !). Nous arrivons sur un lieu avec des oliviers coupés nets à leur base. Une large route terreuse à côté, en chantier. C'est là qu'avance le Mur. Pour lors nous sommes samedi, les bulldozers Font shabbat. Mais Salah est là. Nous le rencontrons par hasard, c'est le propriétaire du vieil olivier, et il nous y emmène.

Combien de temps cet olivier résistera-t-il à l'assaut des bulldozers ?


(suite sur Al Walaja dans un prochain article... mouvementé)

Nous prenons le chemin du retour quand nous apercevons une petite maison isolée, plus bas, tout près du Mur.

Nous sommes en contemplation devant le sort de cette habitation quand un vieux monsieur nous interpelle. C'est le propriétaire de la maison d'en bas justement. Il nous invite à grand renfort de bras à rentrer chez lui... chez lui... enfin.... une simple cabane, habitat de fortune (je n'ai pas bien compris s'il ne pouvait plus vivre dans sa maison d'en bas à cause de l'avancée du Mur ou quoi...). La fortune, oui ! car il fait frais dans la pièce unique de sa cabane au toit de tôle, où il nous offre du raisin et un café qu'il fait bouillir à grand feu. Il nous raconte son histoire en hébreu, une Française plus ou moins israélienne qu'il a rencontrée et qui a fini par rester vivre du côté palestinien... Daniel arrive à le suivre et nous traduit au fur et à mesure (mais j'avoue ne pas avoir gardé les détails de la conversation).


~~~ une pensée à ceux qui comprendront pour Reina et sa casita jaune à Iztapalapa, Mexico ~~~

Après une longue pause un peu hors du temps, transportée dans l'histoire de Fakhly dont je ne perçois que des bribes, nous nous échappons avec difficulté à son hospitalité et reprenons le bus vers la ville de Bethlehem.
Visite de l'église de la Nativité, et sa fascinante porte de l'humilité. Courses pour la maison... la nuit tombe...

...mais la journée n'est pas finie ! Nous sommes invités à dîner chez Mahmoud avec ses amis. Assis tous en tailleurs sur les coussins de la salle à manger, je réalise alors que je suis encore seule femme à partager le repas de ces messieurs, je risque une question :

"Mais Mahmoud, dis-moi, où sont vos femmes ici ?"

Réponse sous forme de rires : "aux labos"... ??... "Les labos de la cuisine". Certes, je veux bien croire que pour faire de si délicieux plats il faille y passer du temps... mais j'aimerais bien la voir, sa femme, moi ! Je vais donc la saluer à l'étage, en slalomant entre les enfants qui montent et descendent les escaliers. C'est étrange comment les pièces des maisons palestiniennes paraissent grandes tellement elles sont peu meublées, tout en étant parfaitement clean tout le temps. La femme de Mahmoud est très timide, j'ai l'air de l'intimider, ce qui m'intimide moi-même... Je ne l'embête donc pas longtemps et redescend avec les hommes en me demandant jusqu'où son mari l'associe à ses activités politiques.

Mahmoud et ses amis nous embarquent avec eux chez Jamil Barghouti, cousin de Marwan, n°2 du Fatah à Bethlehem et en charge de la question des réfugiés auprès du 1er ministre de l'Autorité palestinienne lui-même, qui rentre d'un voyage "promotionnel" en Chine et fait tourner ses photos-souvenirs (consternant). Discussions politiques en terrasse. Un certain vide (...). Sur l'état palestinien... je me dis qu'au fond, stratégiquement, faire un pas vers la Palestine est surtout le meilleur moyen, pour la communauté internationale, de ne pas faire un pas contre Israël. Je me dis aussi que la Palestine est, au final, aussi petite qu'un département français, et ses hauts fonctionnaires aussi accessibles que des élus locaux en France. Aussi faibles aussi. Et pourtant l'équilibre géopolitique du monde entier tient en grande partie dans ce mouchoir de poche. Où couleront encore beaucoup de larmes...

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