15/08/2009

Face aux soldats


(compte rendu officiel de la mission)

Nous sommes 4 de la mission à décider d'accompagner l'association Taayoush sur une de ses actions hebdomadaires en campagne d'Hébron (malgre notre petite, toute petite nuit a Bil'in).
Taayoush est une organisation israélienne anticolonialiste qui agit sur le terrain dans un cadre non violent. Ces actions se font toujours a la demande des Palestiniens, ce qui n'est pas évident, comme nous l'explique le responsable Yehuda, car les Palestiniens se montrent suspicieux face aux Israéliens. - Iyad nous expliquait hier qu'a Bil'in ils ne collaboraient vraiment qu'avec les anarchistes contre le Mur, un des seuls mouvements a ne pas reconnaitre la légitimité de l’État d’Israël -. Taayoush ne s'associe pas aux jets de pierres des Palestiniens, pour eux la non violence n'est pas idéologique mais tactique. L'objectif est de ne pas donner à manger aux médias les images qu'ils souhaitent avoir pour détourner la cause. Même si Yehuda avoue avoir parfois craque a la tentation de défoulement physique générée par certaines situations extrêmes. Mais pour Taayoush les manifs comme a Bil'in ne sont plus suffisantes, elles perdent de leurs sens politique, même si elles ont vraiment permis d'alimenter la gauche israélienne. Ces derniers mois, les élections en Israël et le massacre de Gaza ont réveillé quelques nouvelles vocations dans l'association. Quant a Obama, c'est un espoir nous dit Yehuda, mais il négocie trop les détails du gel des colonies.

Notre action de ce jour consiste a escorter un groupe de Palestiniens sur leurs terres (des vignes en l'occurrence) que des colons de Carmel ont commence a cultiver la semaine derniere. Nous sommes une quinzaine d'Israeliens et de Francais, pour a peu pres le meme nombre de Palestiniens, majoritairement des hommes. Une fois sur les terres, les Palestiniens se mettent a s'occuper des quelques ceps de vigne essayant de survivre desesperement. Tres symboliquement cependant. Petit a petit des soldats israeliens se rapprochent, nous entourant, tandis qu'en haut du terrain des colons passent en nous interpellant. En particulier un colon arme d'une sorte de kalachnikov (les colons sont presque tous armes) qui nous invective fortement et donne des ordres aux soldats pour intervenir, n'hesitant pas a franchir la barriere pour descendre sur le terrain palestinien. Nous n'avons pas pu tout suivre des negociations entre les Israeliens anticolonialistes et les soldats, tout etant en hebreu, mais on nous a traduit qu'il s'agissait de prouver la legitimite de notre presence sur cette terre, les colons citant quant a eux un arret stipulant que c'etait une zone fermee militaire. Tout commence donc par une guerre des papiers, perdue a l'avance pour les Palestiniens qui ont toujours le droit d'Israel contre eux, l'injonction militaire pour raison de "securite" etant l'argument le plus frequent. Mais les anticolonialistes cherchent a gagner du temps et montrer leur determination, certains s'assoient par terre, d'autres se laissent arreter par les soldats par acte militant de desaccord (ils sont toujours relaches dans les heures qui suivent, rien ne pouvant etre retenus contre eux). Finalement les soldats autorisent les Palestiniens a rester travailler mais demandent a tous les autres de partir, ce que nous faisons en trainant des pieds au maximum.
Et nous la-dedans ? Tres impressionnee dans un premier temps par la confrontation directe avec les soldats, je suis ensuite mise en confiance par la determination des anticolonialistes et des Palestiniens a interpeller les soldats pour leur demander des comptes. Les soldats ne sont d'ailleurs pas agressifs, ce qui contraste avec l'attitude des colons (peut-on encore les appeler des civils ?). Je prends beaucoup de photos et essaye d'avancer autant que possible pour eviter qu'ils nous fassent reculer trop vite. Etre une femme est un vrai atout, nous sommes moins secouees. Etre blanche en est un autre. Etre etrangere encore plus, je peux faire semblant de ne pas comprendre les ordres des soldats. Je me rends compte a ce moment-la a quel point le nationalisme est une absurdite totale dans l'histoire de l'humanite. Juste parce qu'il y a dans ma poche un petit bout de papier avec marque "francaise" - parce que je suis nee plutot ici qu'ailleurs - je suis traitee differemment de ces gens dont c'est la terre natale.

Les soldats ont des comportements divers, tantot neutres et froids, tantot ironiques, ou agaces... Ils jouent souvent le jeu du dialogue encourage par les anticolonialistes israeliens qui tentent beaucoup la tactique de la confrontation verbale, voire une strategie de seduction pour certaines (ce qui est qssez choquant de notre point de vue). En discussion epineuse avec Leila, un soldat finit par nous repondre "Oui la situation est ridicule mais c'est comme ca".


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Certains d'entre vous m'ont interpellee sur le manque de point de vue israelien au cours de mes recits. C'est vrai. Cela s'explique par le fait que, mise a part a Jerusalem - Vieille ville qui semble completement apolitisee, nous ne sommes alles qu'en Cisjordanie, ou les seuls Israeliens presents sont :
- les soldats, avec qui il est assez difficile de parler (d'ailleurs on n'en a pas souvent l'envie tant leur role et leurs actes d'occupation, nous ecoeurent)
- les colons, qui fuient souvent le dialogue dans une attitude tres meprisante
- les anticolonialistes que nous rencontrons dans nos actions
C'est avec ceux-ci que nous avons le plus discute, surtout aujourd'hui, mais leur point de vue n'est evidemment pas representatif car ils sont une toute petite minorite et subissent du harcelement dans leur pays par rapport a cela, quand leur combat est connu. Ceci dit, le mouvement des anticolonialistes est tres divers et les positionnements de chaque individu aussi. Par exemple Yehuda se dit contre un etat juif, alors que plusieurs autres se sont declares a l'aise avec leur identite d'Israelien. L'une d'elles m'a meme dit "I love Israel" en faisant reference a la legitimite de la partition des accords d'Oslo "puisque nous avons gagne la guerre". Beaucoup considerent qu'un seul Etat ne serait pas possible, et que le droit au retour est un leurre (comment deloger des familles 60 ans apres leur installation ?), meme si des indemnites pour les refugies seraient normales.
Quand on interroge ces Israeliens sur leurs compatriotes (qui ont donc elu un gouvernement d'extreme-droite), ils les disent majoritairement apolitises et parlent d'une societe tres violente creee par :
- le role de l'armee, passage oblige pour tout jeune Israelien (ou presque tous) pour 3 ans ou 2 ans pour les filles, qui constitue un vrai rite de propagande intensive qu'ils n'hesitent pas a assimiler a du lavage de cerveau
- le role de la religion telle qu'elle est cultivee la-bas, qui s'appuie sur une vision du peuple juif comme "peuple elu" ayant donc la primaute sur les autres (c'est d'ailleurs le discours tenu ouvertement par les colons que nous avons entendus)
- le role de l'heritage de la Shoah qui n'a pas pu s'exprimer ouvertement tant le traumatisme fut enorme, et ressort donc indirectement dans une violence interieure transmise de generation en generation
Mais c'est une question qu'il me tarde de creuser davantage...

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