02/08/2011

Indignés dignes, indignes, dingues, donc ?


Lundi 1er août, Daniel, Pierre et moi nous retrouvons à continuer le séjour tous les 3. Nous retournons vers Jérusalem-Al Quds. Premier jour du mois d’août, premier jour du ramadan. Le ramadan ici, surtout en plein été, cela signifie ralentissement général de l’activité en fin d’après-midi ; il n’est pas rare de voir des gens dormir dans leurs boutiques. Juste avant l’iftar (la rupture du jeûne), les marchands de fallafels, pains et gâteaux sortent leurs aliments tout chauds, ça se bouscule un peu et tout à coup l’appel à la prière, et plus personne. Tous les magasins des musulmans ferment pour l’iftar, quitte à rouvrir après. Il faut bien calculer ses trajets pour ne pas se trouver en pénurie de taxi à ce moment-là.
Journée de transition où je retrouve mon auberge habituelle au cœur de la vieille ville. Sa terrasse jouxte celle d’une maison colonisée, en témoigne le drapeau israélien, les grillages, les fenêtres calfeutrées de tissus… jusqu’au portique de jeu pour enfants totalement entouré de grillage. Une cage, voilà à quoi les colons destinent leurs enfants !

Indignés dignes, indignes, dingues, donc ?

Le lendemain, je vais retrouver Daniel et Pierre là où ils ont passé la nuit, sur un des campements récemment installés dans Jérusalem-Ouest par le mouvement des « Indignés » israéliens. Quelques dizaines de tentes igloos sont collées les unes aux autres dans un petit jardin public
en bas duquel un petit amphithéâtre semble avoir été pensé exprès pour les Assemblées générales du mouvement ! Nous y retrouvons par hasard Ur, un des sambaktivistes de la battucada de ROR rencontré à Al Ma’sara. Il nous en dit plus sur la manifestation de ce soir devant la Knesset (le Parlement israélien) pour protester contre une loi de plan de construction « national houses committees » qui a été proposée par le gouvernement soi-disant en réponse aux revendications de logement portées par la population. Mais le mouvement des Indignés n’est pas dupe et les environnementalistes s’insurgent contre ces constructions à outrance et qui zappent les instances démocratiques locales. Plus la spéculation immobilière of course.

Ur nous explique comment la situation actuelle en Israël déconstruit complètement le clivage gauche-droite puisque les problèmes de logement concernent et mobilisent tout le monde. Avec ce gouvernement d’extrême-droite, le vrai point de clivage de la société n’est donc pas tant sur ces questions sociales que sur les enjeux politiques liés à la Palestine. Mais ceux-ci sont pour lors soigneusement évités dans les débats du mouvement, sauf par quelques activistes d’extrême-gauche. Le mouvement est composé à 99% de juifs, en tout cas à Jérusalem. Ici, les juifs et les arabes vivent côte à côte mais ne se mélangent pas, même chez les étudiants. Quant aux Palestiniens de Jérusalem-Est, il est clair que la question des loyers leur passe au-dessus de la tête, leur problème de logement est tout autre !! Mais même parmi les juifs israéliens il y a des fossés, par exemple entre les étudiants et les classes populaires (immigrés), qui sont sur deux campements différents.

Puisque c’est le sujet du jour, bien concordant avec nos préoccupations militantes parisiennes, nous décidons de retourner le soir-même à Beit Sahour pour une conférence de l’AIC sur le mouvement des Indignés en Israël et en Europe et le lien avec la Palestine. Un petit film nous présente les images du campement avec ses slogans : « justice sociale », « peuple contre gouvernement », « révolution », drapeaux israéliens, détournés ou pas…
Un indigné espagnol fait la comparaison entre le mouvement en Espagne et celui en Israël. Points communs : le coût des logements, la spéculation, la crise des partis et syndicats traditionnels, le réveil citoyen et l’implication de jeunes, la crise de l’Etat-providence, la baisse des salaires. Différences : l’Espagne souffre particulièrement de problèmes d’accès aux crédits bancaires et de 20% de chômage. En Israël cela a commencé avec le prix du fromage blanc puis celui des loyers. Une grande partie du budget de l’état israélien est dédiée à la sécurité et à l’armée. Les Israéliens participent au mouvement avec leurs drapeaux et étiquettes (syndicats, sionistes, rouges, noirs…) alors qu’en Europe les Indignés revendiquent de ne réclamer aucun encartage et affichage partidaire. Le mouvement espagnol dénonce clairement depuis le début les politiques étatiques répressives à l’égard des migrants. Rien en Israël sur ce type d’enjeu politique, on n’est que sur de l’économique et du social…

Un anarchiste israélien témoigne à son tour : 100 000 manifestants samedi dernier à Tel Aviv, c’est inédit ! Même les étudiants en médecine ont rejoint le mouvement ! Il évoque l’espoir qu’en partant du prix du loyer, extrapolé à la question du droit au logement, des liens puissent être progressivement faits avec, par exemple, ces villages arabes dans le Neguev détruits et reconstruits… jusqu’à 25 fois !
Il s’amuse de voir le mouvement encore accusé de fomenter une « révolution anarchiste » alors que les anarchistes, de son aveu même, sont minoritaires au sein d’une palette d’organisations très variées, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche. Mais grâce aux règles du débat démocratique participatif qui fait la caractéristique des Indignés, l’espoir que des lignes fermes se dessinent et que les idées fermées des majoritaires évoluent… Des formes d’autogestion apparaissent sur les campements, la police vient tous les soirs et ouvre les tentes pour filmer dedans. Des réfugiés, noirs ou asiatiques ont été arrêtés par la police, puis libérés. Les attaques policières dans les manifestations font réagir l’opinion, qui aime les flics.
Netanyahou a déjà essayé de faire des propositions en réponse au mouvement, mais les manifestants n’ont pas cédé leurs droits. 

Bref, le mouvement doit encore beaucoup avancer pour être digne des Indignés ailleurs, et de leurs valeurs, notamment sur la question palestinienne, mais aussi celle des immigrés africains ou des classes les plus populaires. Mais c’est difficile car toute l’économie israélienne bénéficie largement du business de la sécurité et de l’occupation, ce qui conforte l’idéologie sioniste de droite comme de gauche. Selon ce camarade israélien, c’est la pression extérieur, comme la campagne de boycott BDS, qui permettra de faire pression sur le mouvement israélien en insistant sur les droits des Palestiniens. En attendant, Palestiniens et Israéliens sont invités à faire « des ponts à la place des murs » en reprenant des slogans similaires dans leurs manifestations respectives. Il y a deux semaines, les Indignés de Rotschild demandèrent aux Indignés d’Espagne de les soutenir. Les Barcelonais ont répondu qu’ils soutiendraient ceux parmi les Israéliens qui intégreraient les droits des Palestiniens dans leur lutte.

« Je suis en haut de la pyramide en tant que juif blanc, et je dois réaliser que je bénéficie de privilèges parce que d’autres les perdent. »

Depuis le jour de cette conférence, le mouvement des Indignés israéliens, dit aussi du « 14 juillet » (le bien nommé…), a grossi, jusqu’à 300 000 manifestants, dans plusieurs villes d’Israël. Du jamais vu ! Et les analyses se sont accumulées sur les perspectives pour ce mouvement de remettre en cause l’injustice fondamentale de la politique coloniale et d’apartheid d’Israël qui conditionne la Paix et la justice pour tous sur cette Terre. Cf. Compilation : "Peut-on être Indigné et colonialiste, voire sioniste ?"

Parenthèse au détour des rues

Alors que nous débattons avec Daniel sur la pertinence du boycott des magasins de Jérusalem-Ouest, nous nous dirigeons vers Jérusalem-Est. Comme celle-ci est annexée par Israël, il n’y a ni mur ni contrôle, nais on sent en quelques rues le quartier changer. Nous passons devant une église éthiopienne vraiment étonnante et très belle, en forme de cube avec un chœur central fermé et des tapis tout autour. Quelques mètres plus loin, nous nous retrouvons par hasard dans le quartier juif ultra-orthodoxe de Mea Sharim, ou des affiches placardées partout sur les murs rappellent les consignes très strictes de pudeur pour les hommes et les femmes pour y entrer. Les ultra vivent dans une grande austérité et font beaucoup d’enfants. Ici tout le monde est habillé en noir et blanc, avec les attributs habituels des orthodoxes. Certains revendiquent leur antisionisme, pour des motifs plus religieux qu’humanistes, bien qu’on puisse lire sur un panneau : « sionisme = holocauste de la nation juive » « les sionistes ne sont pas juifs, seulement racistes ».

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