Nous quittons Al Ma'sara dans la matinée après un grand rangement dans notre maison d'accueil. Nouveau passage par Jérusalem, la plaque tournante, pour repartir directement du côté israélien dans le Nord près de Nazareth.
De bus, en check point, en taxi, nous ratons notre car à la grande station de Jérusalem Ouest à cause d'un contrôle de sécurité. Finalement, Yehuda nous cueille à la descente du car dans la soirée, au bord d'une grande 4 voies comme il n'y en a pas côté palestinien. En tout cas pas pour les Palestiniens.
J'ai rencontré Yehuda il y a 2 ans lors d'une action avec l'association judéopalestinienne Ta'ayush. Daniel l'a connu il y a quelques années également, je crois quand Yehuda vivait en France.
En arrivant chez lui, nous passons une barrière de sécurité. Pas un check point, non non : un truc bien privé, car la résidence où il habite est réservée à ses seuls habitants. Ici c'est privé, bien privé. Pour ne pas que les pauvres viennent embêter les riches et profiter de leurs services (piscine...). Yehuda nous explique tout cela en nous racontant comment il a trouvé ce bon plan, malgré leurs faibles revenus, grâce à ceux qui leur sous-louent leur petit appart. Voilà un bel exemple des contradictions des militants de gauche dans un pays ultradroitisé, qui savent encore repérer les injustices du système sans pour autant pouvoir s'en désolidariser complètement...
Comment peut-on espérer d'une société qui s'enferme elle-même dans des ghettos de la peur, qu'elle prenne conscience de la situation inhumaine de l'enfermement des Palestiniens ? C'est comme si les murs, frontières et grillages étaient des données intrinsèques de l'imaginaire collectif des Israéliens, incapables de rêver la vraie Liberté.
Yehuda et son amie nous racontent l'histoire officielle de la Palestine selon Israël (dommage pour vous je ne l'ai pas prise en notes...).Il dit qu'avant, au moins, les gens avaient la politesse de ne pas dire de choses racistes, maintenant cela ne pose plus de problème, c'est même devenu "mainstream". L'état juif prime largement sur l'état démocratique. Lui refuse un "état juif". "A la rigueur, un "état pour les juifs"".
Sur le mouvement social actuel, Yehuda les considère comme des "capitalistes humanistes", c'est dire ! Il reste donc sceptique, tout en reconnaissant le réveil citoyen que cela représente. Mais "c'est pas la révolution".
Il nous parle aussi du mouvement qui est né de la mobilisation pour le quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est, il y a 2 ans. Avec "Solidariut" ("Solidarité"), le soutien de ces activistes israéliens s'est ensuite élargi à d'autres luttes locales de Palestiniens soumis à la colonisation galopante. Sheikh Jarrah a marqué un tournant dans la mobilisation anticoloniale israélienne, parce qu'il y a eu tout de suite une stratégie média sur ces événements (d'ailleurs à l'époque même les médias français en ont parlé), et parce que le fait que ce quartier soit accessible facilement aux militants israéliens (situé à Jérusalem Est pas très loin de Jérusalem Ouest) en a fait un QG de prédilection. Les rassemblements y étaient continus, les étudiants ayant pris l'habitude de se donner rendez-vous là-bas. Cela a créé une espèce de communauté au contact permanent des Palestiniens, ainsi que des volontaires internationaux. Même si tous les Israéliens présents n'étaient pas vraiment des militants, cela a été un lieu de formation, dans une fibre "pacifiste" différente de celle de Bil'in (un peu à l'image d'ailleurs du mouvement actuel mondial des Indignés d'ailleurs). Pour lui, l'important avec Solidariut c'est que ce n'est pas qu'un mouvement "pour les Palestiniens", mais pour les droits de tous. Il s'agit plus d'un réseau que d'une organisation structurée, sans leaders ni salariés, un milliers de militants actifs et de donateurs, avec un noyau dur de quelques centaines de juifs et d'arabes, dont les membres de l'association Ta'ayoush. Cette dernière fait des actions anticoloniales de terrain en Cisjordanie. Ils ont mené certaines actions avec des professeurs d'université parfois éminents qui se sont faits arrêter par l'armée.
Il nous rappelle que dans les territoires occupés, l'armée est souveraine : c'est elle qui tient le cadastre.
"Tu peux saisir le tribunal pour te plaindre du travail de l'armée, mais elle ne fera que ce qu'elle veut, quand elle veut."
Certains disent qu'Israël est un régime militaire, à cause de ces pouvoirs, dont le pouvoir de l'information, et parce que tous les leaders politiques et dirigeants israéliens ont été avant des chefs militaires. En plus du budget officiel de l'armée, elle va chercher d'autres financements, 10% en plus, auprès des ministères, et peut gagner de l'argent en vendant les terrains pour son propre compte en dehors du budget de l'état. Sans compter les ventes d'armes !
"L'état d'Israël fonctionne comme une secte où la vérité n'est que là. Ailleurs, ce ne sont que des mensonges. Et si on a un doute, c'est de notre faute, une faiblesse à corriger."
Yehuda était, avant, un "nationaliste religieux", un "facho". "Je voulais faire l'armée, mais ça a été une énorme souffrance. Pas le droit de penser, chacun peut te dire quoi faire... cela a provoqué chez lui une crise énorme".
Depuis 2 ans, Israël a encore empiré. Sa "démocratie" est en danger, par rapport aux arrestations illégales qui continuent, la loi anti-boycott contre la liberté d'expression...
Sur le boycott, Yehuda s'exprime "pour le moment contre le boycott total, seulement pour le boycott des produits des colonies". Car il craint que le boycott soit le risque de se couper du capital syndical des années 20 en privant de travail (dans les colonies) une classe ouvrière qui est déjà elle-même exploitée. Je lui réponds que dans l'absolu, si on considère qu'un produit qui n'est pas fabriqué par une entreprise le sera forcément par une autre, boycotter l'une permettra de donner du travail dans l'autre. Donc il n'y a pas perte d'emploi, il y a juste transfert...
"Pourquoi crois-tu que les Israéliens se détestent et se foutent de l'environnement ? Parce qu'ils savent qu'ils vont partir un jour, car Israël n'a pas d'avenir.
"Moi, j'aime mon pays, je le connais, mais je déteste son état. Je ne veux pas un état juif, mais je veux rester ici."
"Il faut laisse tomber la question "est-ce que le projet sioniste était bon ? est-ce que les Palestiniens ont eu raison en 1948 ou pas ?...". La vraie question est "comment trouver une solution aujourd'hui pour 2 ou 3 millions de Palestiniens qui ont le droit à vivre ici, et à y voter ?!"
"Il nous faut trouver une seule question centrale pour laquelle il n'y a qu'une seule réponse. Et ne répéter que celle-ci."
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