04/08/2011

Les hallucinations de Jérusalem-Est

Le lendemain, après la visite de l’esplanade des Mosquées, Pierre et moi reprenons la rue d’hier soir pour monter sur le Mont des oliviers, couvert du plus grand cimetière juif au monde… et de quelques oliviers. Le panorama d’ici est magnifique mais il fait déjà un sacré caniar. Nous rejoignons ensuite Ras Al’Amud, un quartier de Jérusalem-Est « agité » par la colonisation depuis quelques années, avec son voisin Silwan. Et ce n’est pas peu dire ! Ici ça colonise à très grande vitesse, brique par-dessus brique, pavé contre pavé.

Je vois très bien la différence par rapport à il y a 2 ans, où j’avais passé quelques nuits à la Maison d’Abraham en haut du quartier. Nous remontons la rue jusqu’à cette Maison, grande bâtisse bien située avec un joli parc et des bungalows (qui n’ont jamais reçu l’autorisation israélienne pour être transformés en dur). Elle appartient au Secours catholique France qui a aussi un petit dispensaire un peu plus bas, dans la cour duquel nous rentrons. Je me souviens à quel point déjà l’immeuble d’à côté, avec ses drapeaux bleu et blanc, en construction à touche-touche, faisait de l’ombre sur la cour. Je l’avais prise en photo. Et là, je m’arrête net ! L’immeuble est bien fini maintenant mais il ne fait plus d’ombre… car une espèce de toit plat très laid a été construit au-dessus de la cour. J’aimerais croire que c’est juste un préau, mais il est particulièrement bas et proche du dispensaire… ça me donne plutôt l’impression d’être une sorte d’étouffoir, comme si l’immeuble s’apprêtait à avaler tout cru le dispensaire, comme un couvercle prêt à se refermer définitivement sur sa boîte.

La cour du dispensaire du Secours catholique en août 2009, les colonies se construisent derrière.

La même cour 2 ans plus tard, scellée.

Devant elle, une petite maison arabe en dépérissement, alors que derrière se sont dressés de nouveaux immeubles tout frais, déjà reliés par des rues pavées avec bancs et petits arbres. Derrière la Maison, une autre maison palestinienne, avec son drapeau, tient encore debout à côté d’un magnifique terrain de football bien vert. Et bien grillagé, ça va de soi.

Colonie en construction à Ras Al 'Amud en août 2009.
Même vue 2 ans plus tard. Les immeubles se sont multipliés, un quartier colonial est né.

La colonisation de la Palestine par Israël, c’est concret : de la poussière, du sable, du ciment, des briques, des poutres, des murs, des échafaudages, des camions et des bulldozers. Des ingénieurs en destruction, d’autres en construction… et des ouvriers exploités. Une fois que place nette est faite, les grues implantent les colonies dans ces quartiers aussi simplement que les doigts d’un enfant avec un jeu de legos.

On rejoint ensuite Daniel et, avec Anne, une autre Française, décidons ensuite d’aller à Sheikh Jarrah, un autre quartier de la Jérusalem-Est annexée, qui a fait beaucoup parler de lui il y a deux ans en tant qu’une des premières offensives coloniales massives au cœur même des quartiers arabes de Jérusalem (cf. mes récits il y a deux ans : ici et ). Faisant l’objet de vives manifestations d’Israéliens anticolonialistes, d’internationaux, contre celles des partisans d’une Jérusalem entièrement juive. La première maison volée devant laquelle nous passons, celle des Hanoun, est totalement calfeutrée. Une femme juive orthodoxe avec sa poussette est en train d’y entrer.
Nous descendons vers la deuxième maison volée. Pareil. Évidemment, après deux ans, la famille palestinienne qui en avait été expulsée ne campe plus sur le trottoir d’en face. Ils ont été obligés de trouver une location quelque part ailleurs. 

Par contre dans la maison d’en face, une autre histoire, encore plus folle que les précédentes. Cette famille palestinienne avait décidé il y a 10 ans de construire une extension à sa maison dans son jardin. Comme elle n’avais pas obtenu d’autorisation pour cela (jamais d’autorisation de construction pour les Palestiniens), les autorités israéliennes ont confisqué le bâtiment pendant 10 ans, et elle est désormais « tombée » dans les mains des colons qui s’y sont installés. La famille partage donc désormais sa maison avec les colons, qui ont pignon sur rue, et doit donc souffrir leur présence ostensible à chaque fois qu’elle entre chez elle.

Les militants internationaux d’ISM ont installé une tente tout contre le bâtiment colonisé pour assurer le passage des Palestiniens vers la « zone libre » de leur maison à l’arrière. Et ils s’y relaient toutes les nuits en supportant les injures, le bruit, les jets d’objets en tous genres et les projectiles canins (!) dont ils sont la cible. Ces activistes (dont faisait partie la jeune Rachel Corrie, écrasée par un bulldozer à Gaza –cf. le film « Rachel ») sont formés pour de telles missions. A la non violence bien sûr, et à surtout ne jamais leur adresser la parole. A chaque incident, ils vont porter plainte à la police mais s’y font balader royalement sous des prétextes tous plus fallacieux les uns que les autres, même quand il y a preuves à l’appui.

Un des hommes de la maison passe un long moment avec nous à nous raconter avec beaucoup de pudeur leur vie. Sa petite fille vient interrompre notre discussion pour lui faire des câlins toutes les 5 minutes. Ils sont bel et bien encore là dans leur maison. Et l’Amour aussi !   

Le soir, nous rejoignons mon amie Ella, que j’avais rencontrée lors d’une action Ta’ayoush il y a deux ans et que j’ai accueillie deux fois à Paris depuis. Elle nous emmène dîner dans un restaurant de Jérusalem-Ouest…

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