14/08/2009

Ceux qui ne dorment jamais

Bil'in est un peu le village symbole de la résistance contre le Mur, même si ce qu'il vit est commun a beaucoup de villages palestiniens. Comme dans plusieurs autres villages, des manifs y ont lieu tous les vendredis pour s'opposer a l'avancée du Mur sous toutes ses formes. En partant pour la manifestation de Bil'in, nous ne pensions pas que le plus fort de la journée ne serait pas cette manifestation. Pourtant, les temps sont chauds a Bi'lin, la mort en avril d'un résistant du village abattu dans une des manifs pacifiques, et les arrestations nocturnes récentes dans le village, ont fait progressivement monter la pression. Les internationaux sont appelés a la rescousse.


C'est un petit garçon, Mohammed, qui vient nous chercher a la descente du bus, s'adressant a nous dans un anglais que beaucoup d'entre nous ont à lui envier. Il nous mène chez son père, Iyad, qui est notre hôte.
Il y a particulièrement beaucoup de monde aujourd'hui, peut-être 400 ou 500 personnes, beaucoup d'internationaux. Des Français notamment, puisque nous y retrouvons un groupe de Génération Palestine, très actifs. Nous rencontrons également Michel Warschawsky, éminent israélien anticolonialiste ne en France, qui nous parle de la perte de vitesse des mouvements anti-colonialistes en Israël et, de façon générale, de la décadence politique dans le pays aujourd'hui sous gouvernement d'extrême-droite.

Nous sommes pares pour la manif : lingettes d'alcool et lunettes de piscine contre les gaz lacrymo (mais le ridicule n'est pas toujours du cote ou l'on croit), pancartes "French people against the Wall"... Cela commence par un cortège anime assez proche de nos manifs parisiennes, avec des slogans dans toutes les langues. Puis nous arrivons près du Mur, matérialisé ici par des rouleurs de fils barbelés. Les soldats sont aux aguets a quelques mètres, en haut de la colline. Prises de parole au porte-voix de Palestiniens et Israéliens anti-colonialistes, puis nous passons a la phase active : les Palestiniens coupent les fils barbelés pour ouvrir un passage. Évidemment, c'est l'acte attendu par les soldats pour commencer a répliquer vraiment. Les grenades lacrymogènes fusent, surtout sur les cotes de la manifs d'où de jeunes garçons lancent des pierres a la fronde, mais aussi par dizaines d'un coup sur nous. Mouvement de panique, mais cela ne dure pas trop longtemps. Un autre énorme tank s'approche de nous, c'est un lanceur d'eau puante, une nouvelle arme qui consiste a souiller les manifestants d'une eau fétide dont l'odeur persiste plusieurs jours parait-il. Les médias sont aux premières loges, blindes de gilet rembourres et de masques a gaz. Finalement cela dure a peine plus d'une heure et nous sommes relativement épargnés, parce que beaucoup d'étrangers.



En revenant au centre du village, nous croisons le petit Mohammed inquiet qui cherche son père. Quand il le voit arriver il nous dit avec un grand sourire en le pointant du doigt "C'est mon père, c'est mon père !". Iyad lui caresse la tête et prend tendrement sa petite fille dans ses bras (5 ans environ, habillée comme une poupée). Tous savent que la vie de chacun, et particulièrement d'Iyad, est en danger a tout moment. L'épée de Damocles qui les menace est terrible, et ca se sent dans le lien fort que les gens ont entre eux.

Le repas qui nous est fait a la maison est délicieux, nous remercierons nos hôtes en achetant de ces productions artisanales que la femme vend, seul revenu de la maison dans ce contexte de guerre.

Avant la tombée de la nuit, deux enfants nous emmènent nous promener dans le village. Une petite balade a la fraiche qui démarre très agréablement. Mais rien n'est jamais normal ici. Les enfants jouent a la guerre avec des armes en plastique, même cette petite fille habillée en robe de princesse rose. Nous passons devant le cimetière et la tombe de leur martyr Bassem, dont nous voyons des images partout dans le village (les Palestiniens publient des affiches pour faire honneur a leurs résistants). En sortant du village, nous entendons dans les maisons la musique d'une fête de mariage, en cueillant des fleurs et nous amusant avec les enfants. Tout cela est bien champêtre, mais dans le crépuscule sur la colline d'en face se dessinent les silhouettes des soldats, de leurs tentes, chars, et tours.


Les enfants nous préviennent que nous ne pouvons pas descendre trop la route (cette route qui se dirige vers le Mur) sinon les soldats viendront les attraper. En effet, quelques mètres plus loin, les enfants s'agitent soudain : une jeep descend vers nous (peut-être alertée par les flashs de nos appareils photo). Nous commençons a faire demi-tour et entendons un tir vers nous. Non, nous ne rêvons pas, c'est bien une grenade lacrymogène qui vient d'être tirée en notre direction, alors que nous sommes sur les terres du village a plusieurs centaines de mètres du Mur ! Les enfants nous pressent "Ya Allah ! Vite, vite, ils vont nous attraper". L'un d'eux, 10 ans environ, nous dit qu'il a déjà été pris deux fois alors qu'il allait chercher je ne sais quelle plante dans ces champs, les soldats lui ont dit que la prochaine fois ils le mettront en prison. Les enfants finissent par fuir en voyant approcher dans les buissons deux soldats qui remontent la colline. Nous sommes éberlués par leur capacité de discernement dans l'obscurité. Mais nous sommes surtout profondément choqués, ce harcèlement, sur des enfants en plus, est inhumain. Ce sont leurs terres !
En repartant de jeunes gens nous interpellent d'un toit, nous montons les rejoindre et l'un d'eux nous montre la petite collection qu'il s'est faite a partir de ce qu'il récolte sur les terrains de la manifs : des balles en caoutchouc, d'autres réelles, collées sur des planches pour dessiner une colombe de la paix ou un cœur, une bombe a explosion qu'il a transformée en fleur, une planche qui garde la trace de son sang (il a été touche plusieurs dizaines de fois). Avec gravite et gentillesse, il nous laisse un petit cadeau de la Palestine en partant.

Nous finissons la soirée par une rencontre avec le Comité populaire du village de Bil'in et celui de Nilin, village voisin qui vit les mêmes situations. Ces comités sont organises comme des associations accueillant toutes les bonnes volontés du village pour organiser la résistance. Ils nous redisent combien notre solidarité les rend plus déterminés encore, dans leur combat pacifiste. Ils nous racontent ce que nous avons déjà entendus tant de fois : les démolitions, les expulsions, les morts (dont Ahmed Moussa, 10 ans, tue par balle dans une manif), les prisonniers (qui quand ils sont relâchés pour manque d'accusation sont sommes de payer quand même les frais de leur arrestations !)... A Nilin ce sont 80 pour cent de leurs êtres qui ont été confisquées, et autant de fermiers bafoues dans leur identité, dont certains sont devenus fous. Certains avaient prévu d'aller vivre en Jordanie pour y trouver du travail mais les autres les en ont empêché, car "c'est exactement ce que les Israéliens recherchent". Une solidarité dans le village s'est donc instaurée pour aider ces gens expropries a survivre. Ils nous parlent aussi des chiens que les soldats lâchent sur les gens, des bombes assourdissantes envoyées sur le village la nuit pour maintenir la pression. Quelques fois, l'accès a leurs terres est interdit jusqu'à 3 km avant le Mur. Même si des procès ont été gagnés pour le faire reculer, ces décisions de justice ne sont jamais appliquées pour des "raisons budgétaires".

"Nous n'avons pas de réponse a donner a nos enfants quand ils nous demandent pourquoi nous ne pouvons pas aller chez nous".


Iyad nous accueille avec chaleur malgré une fatigue immense qui se lit sur son visage, comme sur celui de sa femme. Il nous explique que les hommes du village, et en particulier ceux qui sont recherches par l'armée israélienne comme lui, sont obliges de veiller toutes les nuits pour prévenir les incursions de soldats dans le village. La présence d'internationaux est capitale, pour les protéger. C'est la 2e action qu'ils nous confient. Marianne, activiste d'ISM présente au village depuis plusieurs semaines, nous explique en quoi cela consiste et quelle attitude nous devons adopter devant les soldats le cas échéant, ce qui arrive plusieurs fois par semaine.
Nous dormons un petit peu avant qu'Iyad nous réveille. Il nous repartit en 3 groupes, notre mission et d'autres militants internationaux. Nous marchons dans le village tous les 6 en silence. Seules quelques maisons sont éclairées. L'atmosphère est étrange, notre chef de patrouille est vigilant, rassurant et drôle tout a la fois. Il nous amène d'abord au QG pour charger la vidéo de la manif sur internet. Je fais ma petite contribution personnelle a la résistance en l'aidant a télécharger le bon logiciel. Sur le chemin du village, on regarde les alentours tout en cueillant des figues et du raisin. Bruit de coqs, un âne qui braie... Nous rentrons finalement a l'aube. Le village restera calme cette nuit-là.

2 heures plus tard, nous quittons la maison sur la pointe des pieds. La femme d'Iyad dort habillée sur le canapé, Iyad, lui, doit dormir dans une autre maison. J'ai le cœur très serré, j'aurais aimé les embrasser et leur transmettre ma solidarité profonde. Que ces heures de sommeil leur permettent de s'échapper un peu de leur enfer quotidien.

"Nous croyons que ce Mur tombera un jour mais cela se fera grâce a notre combat non-violent. Il ne tombera pas si nous dormons"

[complément]
Quelques heures et quelques jours après avoir quitté Bil'in, de nouveaux événements ont marqué la vie des villageois. Le soir-même un Palestinien du village est arrêté.

Manifestation d'enfants mercredi :



...Suivie d'un raid nocturne israélien et arrestation d'un résistant



Le site très actualisé du village de Bil'in

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