31/08/2009

Le parcours d'une Israélienne

Vous vous souvenez que le 15 août je déplorais, ainsi que certains d’entre vous, de ne pas pouvoir recueillir davantage le point de vue des Israéliens dans cette affaire. Eh bien mon vœu fut exaucé car j’ai eu l’occasion juste à mon retour d’accueillir pendant quelques jours une jeune Israélienne rencontrée lors de l’action dans les vignes avec l’association Ta’ayoush, dont elle fait partie. Quelle aubaine !


Elle a pu me commenter certaines de mes photos, me déchiffrer certaines choses écrites en hébreu, et m’en dire plus sur les actions qu’elle mène avec Ta’ayoush comme celle sur laquelle nous nous sommes rencontrées.
Mais ce qui a animé beaucoup de nos longues conversations c’était mon désir de mieux comprendre la mentalité israélienne en général, et son parcours de vie à elle, en particulier. Et comme c'était une préoccupation partagée, les camarades parisiens de la mission nous ont retrouvées un soir pour un interview dans un bouiboui chinois végétarien.
Car s’affirmer anticolonialiste et antisioniste à 22 ans alors qu’on a grandi dans une colonie, ce n’est pas rien !

Son histoire

Ella est née en Russie d’une famille de communistes militants. La vie en Russie était très dure pour les juifs qu’ils étaient, victimes de discrimination et de la pauvreté. A la chute du Mur (de Berlin, déjà un Mur à cette époque !), deux options s’offraient aux Juifs pour fuir : l’Allemagne ou Israël, qui leur offrirait tous deux la citoyenneté.
Elle avait donc 4 ans quand sa mère, ses grands-parents et elle immigrèrent en Israël en même temps que de nombreux Russes dans les mêmes circonstances.
Sa famille a dû abandonner son nom à consonance chrétienne pour un nom hébreu, et elle a dû également changer de prénom.
Mais immigrer n’était pas seulement une affaire de nom :
« Ma famille avait besoin de devenir israélienne : pour s’intégrer ils ont adopté le point de vue capitaliste et très à droite. »
Même si ses grands-parents avaient des responsabilités en tant que communistes, une fois rendus en Israël, l’idéologie majoritaire du pays a primé sur les convictions familiales.
Aujourd’hui encore, sa mère habite une colonie de Jérusalem Est, une colonie économique où les nouveaux immigrants bénéficient d’avantages pour s’installer.
Après avoir fait des études de sociologie, Ella travaille maintenant dans un centre de recherches sociologiques. Mais son engagement date de bien avant :

Son engagement

Vraiment je me demandais quel genre de circonstance avait pu lui faire trouver une brèche dans le bulldozer de la propagande nationaliste et raciste d’Israël ? La réponse est surprenante…
« J’aimais les animaux »
Voilà, c’est la première conviction dont Ella se souvient. Ainsi, à 13 ans, elle décide de ne plus manger de viande et devient végétarienne, et même végétalienne, avec cette conscience aiguë des droits des animaux. Ce qui l’amène, tout naturellement selon elle, aux droits de l’homme (raisonnement assez logique mais qui n’est vraiment, vraiment pas français, le combat de Brigitte Bardot et celui de José Bové n’étant pas tout à fait proches…).

S’ensuivit la prise de conscience de vivre dans une colonie, et non simplement dans la « banlieue » de Jérusalem. Son militantisme est né grâce à internet, car même s’il y avait bien des gens « de gauche » à la Fac, c’était plus des sortes de hippies que des activistes.
Ella ne voulait pas faire son service militaire, elle a même écrit à l’armée pour le dire, mais s’est finalement résignée à y aller sous la pression familiale. Ne pas faire son armée est une honte en Israël, le patriotisme étant un devoir naturel. Ainsi s’est-elle retrouvée à surveiller sur des écrans les bateaux arrivant de Jordanie par la Mer morte. Enfin, c’est ce qu’elle était censée faire…
Aujourd’hui elle est donc active dans l’association mixte (arabes et juifs) Ta’ayoush, qui organise tous les samedis des actions de terrain auprès des Palestiniens sur les lieux de la colonisation. Elle fait également partie du groupe de batucada militante ROR (rythms of resistance). L’objet de ce groupe de percussions est de renouveler l’engagement des anticolonialistes par des animations plus festives dans les manifestations.

Avec Ella nous faisons le même constat sur les internationaux qui s’engagent dans le combat pour le droit des Palestiniens : parmi eux les Français sont les plus véhéments (peut-être symétriquement aux sionistes français qui, paraît-il, sont les plus hargneux), alors que les anglo-saxons sont dans une approche beaucoup plus proche de celle des Israéliens, très pacifiste. Il faut bien avouer que quand les jeunes français débarquent en Palestine, dont je dirais 50% sont d’origines arabes, c’est un peu l’Algérie et le Maroc qui s’y rendent avec eux. Et toute la charge d’affaires non réglées de la France avec son histoire coloniale et postcoloniale dans les banlieues.

Ce que pensent les Israéliens

Alors que la Torah ne considère comme juif que celui dont la mère est juive, la loi israélienne reconnaît comme juif plus largement toute personne qui a un de ses grands-parents juifs. Mais sinon l’appartenance religieuse et nationale sont toujours très intimement liées, sachant qu’il n’y a pas dans le judaïsme de volonté d’étendre la communauté des croyants, au contraire c’est un peuple élu qui est voué à un destin spécifique. Et ça, l’idéologue l’utilise encore plus aujourd’hui qu’hier !
Mais à part cette propagande prêt-à-digérer, les connaissances politiques de la majorité des Israéliens sont quasi nulles, tout comme leur niveau d’instruction. « Je ne pense pas avoir jamais rien appris à l’école », nous dit Ella.
Les gens qui vivent dans les colonies économiques ne savent pas qu’ils sont dans une colonie.
Ils ne savent pas ce qu’est la West Bank ; pour eux, Nazareth (en Israël) ou Naplouse (en Cisjordanie), c’est la même chose : des villes d’Israël où il y a trop d’arabes pour aller.
L’histoire officielle en est restée aux victoires de 67, du Yom Kippour en 73, et du Liban en 81 et en 2006.
« Sur les Palestiniens ? ...Nous apprenons qu’il y avait des arabes… et que nous avons gagné la guerre, c’est tout ».
Ils ne connaissent pas l’histoire de la ligne verte, et ont à peine entendu parler d’Oslo. Alors pour ce qui est de l’ « autonomie palestinienne »…

Son engagement est une honte pour sa famille, elle évite d’en parler. Même si être de gauche est encore légal (mais pas aller en Cisjordanie, pour un Israélien). Cela ne l’empêche pas d’avoir des amis de droite. Ella comprend la réaction de ceux qui ont vécu des attentats et ne sont, selon elle, gouvernées que par l’émotion liée à leur traumatisme. Selon elle, certains gens de droite savent reconnaître, de façon individuelle, telle ou telle injustice faite à certains arabes (par exemple les expulsions de Sheikh Jarrah). Mais ils n’en remettent pas pour autant en cause le principe de la colonisation.
Hélas aujourd’hui la mobilisation anticolonialiste faiblit, à cause de la guerre de Gaza, décidée juste avant les élections, et qui a fait voter les gens plus à droite encore !
Mais, dit-elle, difficile pour les gens de Xerot par exemple de ne pas être de droite, « vu que ça fait 8 ans qu’ils reçoivent des bombes tous les jours ». On l’interroge sur le Hamas :
« Je suis contre toute forme de violence. Je ne sais pas s’ils ont raison ou quoi mais dans tous les cas nous devons parler avec nos ennemis pour faire la paix. »

Ses idées

Ella se dit anticolonialiste, et antisioniste aussi. Mais qu’entend-elle vraiment par là ?
Dans le futur, l’idéal serait d’avoir un seul état, avec le droit de retour pour tous les réfugiés. Mais c’est l’idéal, car, dit-elle pudiquement « je ne sais pas si c’est réaliste ». Et pas seulement du point de vue de la politique actuelle du gouvernement. Aussi parce que les gens sont vraiment traumatisés par l’holocauste, et pour se sentir en sécurité, ils veulent vraiment un état juif, « ils en ont besoin ».
Du coup, elle se dit pour un état palestinien libre, mettant en miroir le droit des arabes à avoir leur état comme celui des juifs à avoir le leur. Nationalisme contre nationalisme. Ça a sa logique. Car pour elle - même si pour nous ce n’était pas flagrant - les Palestiniens sont aussi nationalistes, car « ils ont une identité qu’ils veulent garder »
Ce que je comprends de cette vision très symétrique du conflit, c’est que l’activisme d’Ella, comme celui de nombreux Israéliens anticolonialistes, n’est pas un activisme de « solidarité » et ne répond pas un idéal de mixité culturelle ou de laïcité : si eux et les Palestiniens se rejoignent dans des actions pour la Justice et le respect des droits de l’homme et des peuples, cela ne veut pas dire qu’il y a vraiment partage de convictions. D’ailleurs elle-même regrette de ne pas parler davantage avec des Palestiniens de Cisjordanie, qu’elle ne fait que côtoyer lors des actions hebdomadaires.
C’est en poussant un peu plus loin les questions politiques que l’on découvre que cette vision a sa limite. Ainsi, dès lors qu’il ne s’agit plus de la Palestine, l’action d’Israël n’est plus aussi scandaleuse. Sur le Liban par exemple : c’est vrai que l’enlèvement du soldat Shalit était sans doute un prétexte et que la réaction était affreusement disproportionnée, mais pour Ella ce n’est pas pareil que la Palestine, c’est armée contre armée, état contre état. Elle me raconte d’ailleurs avec une voix encore un peu tremblante combien elle a été très marquée par les 150 soldats israéliens morts dans cette guerre de 2006 (elle en connaissait un), dont l’histoire personnelle de chacun était racontée dans tous les journaux.
Et quand il s’agit de l’Iran, je sens alors le discours prêt-à-digérer : « C’est un pays dangereux : ils tuent des manifestants ». Et si j’émets l’idée de m’y rendre pour aller me rendre compte par moi-même, elle m’avertit « n’y va pas ! ».


Ce n’est que quand j’ai laissé Ella à la Gare du Nord que j’ai senti que ma Mission 154 était achevée. Outre le fait de m’être fait une nouvelle amie, très sympathique, ouverte, douce et aussi bavarde que moi, avec qui nous avons sillonné Paris à pied et à vélo, Ella a vraiment été une rencontre importante pour m’aider à comprendre et à garder toujours en tête que, au-delà de la résistance physique et morale du peuple palestinien, il y a une autre résistance à mener, tout aussi essentielle pour la Paix, et encore plus marginalisée, au sein de la société israélienne. Al hamdou li Allah !

L'association Ta'ayoush

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