16/08/2009

A la fois Palestiniens, Israeliens, arabes, bedouins, et parfois noirs


J´ai eu du mal à garder les yeux et les oreilles ouverts aujourd'hui, et pourtant journée importante puisque c´est la seule que nous passons en Israël, après avoir sillonné toute la Palestine cisjordanienne. La rencontre avec les Bédouins du désert du Neguev est un cas d´école concernant l´embrouillamini des identités.

Nous devons prendre le bus à la gare routière centrale. C´est presque un check point qui nous attend, avec un contrôle de sécurité des sacs très minutieux, et même un contrôle de passeport pour celle de nous qui porte un keffieh ! La gare est blindée de soldats partout, des jeunes qui partent pour leur semaine de service, avec leur arme bien impressionnante aux côtés. Dans le bus aussi, tout est vert kaki.

Nous sommes a Rahat, ville triste du Neguev.
Mansour, responsable bénévole de l´association Step forward nous présente l´histoire des Bédouins du Neguev. Le Neguev (Naqab en arabe) est le désert du Sud d´Israël-Palestine. Plus de 12 500 km2.
Sous l´empire ottoman, les bédouins (qui se distinguent des autres arabes palestiniens par leur mode de vie nomade) vivaient librement. 90 000 bédouins représentaient 95 tribus elles-mêmes fédérées en 9 confédérations. La ville de Be´er Sheva a été créée pour des raisons stratégicomilitaires en 1900 pour contrer l´arrivée des Britanniques, un gouvernement s´est alors installé dans la région mais sans interférer vraiment dans la vie des tribus bédouines. La situation était relativement stable, malgré les heurts entre tribus.
Quand les Britanniques envahirent la Palestine en 1917, ils essayèrent d´intégrer les bédouins dans un système de justice permettant de régler les différends entre tribus. Mais ils reconnaissaient l´autonomie territoriale des bédouins qui géraient leurs terres comme ils le voulaient selon leurs règles et bien sur sans traces écrites.
En 1948, la Nakba. La majorité des bédouins se retrouvent chassés vers Gaza, l´Égypte, la Jordanie... Ils n´en restent plus que 11 000 (19 tribus éclatées), la majorité étant transférés dans une zone militaire close dont ils ne pouvaient sortir qu´avec une autorisation une fois par semaine pour vendre leurs produits au marché de Be´er Sheva. En 1966, ils retrouvent leur "liberté" de circulation mais leurs terres sont majoritairement perdues. La politique israélienne dans les années 70-80 sera alors de sédentariser les nomades dans des villages créés pour cela, afin de garder le contrôle sur eux. 7 villages/villes sont ainsi créés officiellement, dont la plus grande Rahat. Mais ce sont des cités-dortoirs, l'état israélien accordant très peu de financements au développement d'infrastructures et de services publics pour les arabes. Les dizaines d'autres villages créés par les Bédouins ne seront jamais reconnus par Israël, donc encore plus délaissés et menacés de destruction. A côté de cela se développent dans la région du Neguev autant de kibboutz, villes juives fortement soutenues par l'Etat (la philosophie communautaire initiale des kibboutzs etant aujourd'hui totalement devoyée par le libéralisme).
Ici très peu de mixité entre population juive et population arabe, la ségrégation est flagrante dans tous les domaines. Notre partenaire nous donne quelques exemples concrets de la politique d'apartheid d'Israël, dont la société est divisée en plusieurs strates entre (par ordre croissant de discrimination) les juifs ashkénazes (les leaders, "blancs"), les séfarades (venus du Maghreb), les falashas (venus d'Ethiopie) et autres minorités juives, puis les chrétiens, les druzes (musulmans hétérodoxes), les bédouins et autres arabes... La séparation globale entre Juifs et arabes étant structurelle (alors que l'autre est culturelle). Nous interrogeons notre interlocuteur sur le caractère légal de cette discrimination. Je développerai cela dans un prochain message mais apparemment le nom de famille et le lieu de naissance ou de vie des Israéliens sont des causes de discrimination objectives et systématiques pratiquées par les administrations israéliennes. Il nous donne pour exemple la grande difficulté pour les arabes de bénéficier du système universitaire israélien (seulement 2 pour cent des Bédouins vont a la Fac), mais aussi le manque de transports publics, de cliniques, d'eau...

L'association Step forward se bat pour l'éducation des enfants, le développement de projets sociaux dans la population bédouine, et l'éducation aux droits humains et à l'égalité des droits avec les Juifs pour leur permettre de lutter contre les discriminations dont ils sont victimes. Pour aller plus loin dans la complexité de la société israélienne, ils nous projettent un film sur le problème des bédouins noirs, une minorité de bédouins descendants des esclaves et qui font l'objet aujourd'hui encore de discriminations même à l'intérieur de la population arabe (par les arabes appelés "blancs", comme quoi tout est relatif).

Ayant eu des échos parfois négatifs de la part des Palestiniens de Cisjordanie sur ceux d'Israël qui ont échappé a la Nakba, nous interrogeons Mansour sur leurs relations. Mansour est très clair : "nous sommes plus proches des Palestiniens de Cisjordanie que des Juifs israéliens". Les relations familiales de part et d'autres du Mur subsistent, ne serait-ce que d'un point de vue économique. C'est bien d'un même peuple qu'il s'agit, même si les situations vécues de chaque côté ne sont pas les mêmes, les arabes d'Israël devant composer avec les Juifs.
Nous visitons également le Centre communautaire (=centre socioculturel) de Rahat et en son sein un centre d'orientation pour les étudiants ayant pour but de les aider a franchir toutes les barrières discriminatoires pour arriver à faire leurs études.
Nous sommes ensuite accueillis sous la "tente de la paix", une grande et belle tente bédouine dressée pour entretenir la paix entre les confessions et les peuples et préserver la culture bédouine. Elle y accueille ponctuellement des groupes de réfugiés, mais aussi d'activistes, ou tout simplement des mariages traditionnels. Mais il semble difficile aujourd'hui de faire perdurer la culture bédouine auprès des jeunes générations, même si les conflits entre les tribus se règlent encore de façon traditionnelle. On nous offre quelques intermèdes musicaux traditionnels dans lesquels j'ai du mal à rentrer : la musique est belle, mais tellement en décalage avec les images de l'occupation que j'ai en tête. Nous savons alors que nous sommes en Israël, et qu'ici dans le désert l'intifada n'a pas eu lieu (en tout cas pas autant qu'en CIsjordanie). La préservation de la culture serait-elle leur dernier soubresaut de dignité au sein d'une banalisation de la politique raciste de l'état d'Israël ? Nous apprenons quelques codes sociaux bédouins de base (comme la technique de la tasse de café) afin de pouvoir être ensuite accueillis dans une vraie tente bédouine (celle-ci faisant vraiment trop folklorique).



C'est là que nous avons la discussion la plus intéressante de la journée, en abordant le fonds du problème politique avec le Sheikh d'un des villages-campements encore menacés par les autorités israéliennes. Les questions de sédentarisation des Bédouins, de leurs déplacements forcés, des confiscations de leurs terres et de destruction de leurs maisons sont très complexes, et je suis tres fatiguée... Mais je retiens de cette discussion : un village détruit 28 fois de suite, 14 personnes tuées car elles essayaient de continuer a cultiver leurs terres, un empoisonnement systématique des cultures par l'État lui-même (en 2001-2003, qui fut la cause d'empoisonnements humains), et ces citations :
"Y a-t-il un autre état dans le monde qui détruit ses propres cultures ? Même les nazis ne l'ont pas fait"
"Les Israéliens sont les envahisseurs de cette terre."
Et ce message :
"Ecrivez sur tout ca, et dites qu'il n'y a pas d'égalité en Israël".
Aujourd'hui, Israël projette de "transférer" tous les arabes d'Israël en Jordanie et donne à des étrangers le droit de s'installer à leur place. C'est un projet officiel que la moitié des Israéliens soutiennent.

En partant, nous nous arrêtons prendre en photos les ruines d'une maison bédouine, et le panneau "Ambassador Forest" planté sur la terre des Bédouins : ici on projette de faire une réserve naturelle !


Le voyage retour en bus est un moment de défoulement collectif : assis dans le fond du car, nous chantons à tue-tête tout le répertoire de la chanson française et laissons sur la banquette arrière une feuille avec écrit "les Français aiment la Palestine"... Si symbolique... les Israéliens sont cependant très patients il faut bien l'avouer.

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