09/08/2009

Le faux printemps de Naplouse


Naplouse est une ville à l'atmosphère très étrange. Ville sinistrée par la guerre et en particulier les attaques israéliennes pendant la seconde intifada, elle est en phase de "normalisation" depuis seulement deux semaines. Les restaurants, les quelques panneaux publicitaires, la réouverture des banques et l'enseigne lumineuse du grand hôtel de la ville donnent le change. La police palestinienne se préoccupe du port de la ceinture et quelques touristes se baladent dans la rue. Pas de vrais touristes en fait : des journalistes, des humanitaires, des curieux comme nous… mais peu importe, ils visitent la savonnerie de Naplouse et goûtent sa spécialité, le knaffe.
Mais c'est comme un coulis de confiture sur un gâteau de sable…
ici les cœurs sont ravagés, nos rencontres en témoignent. Pas une seule personne avec qui nous discutons ne nous raconte l'histoire d'un de ses martyrs. Les autorités palestiniennes tentent de faire illusion, la relance de la vie à Naplouse est censée faire oublier le carnage de la population. L'ouverture des checks-points à l'intérieur de la Cisjordanie va dans le même sens de ce mirage : on endort le peuple avec des choses douces pour mieux l'étouffer dans son sommeil. Pendant ce temps, la colonisation avance constamment. Et les check-points restent opérationnels : en quelques heures le moment venu, tout peut être à nouveau bouclé.
Nous commencons a percevoir a quel point l'alliance du Fatah avec Israel pour "mettre de l'ordre" contre le Hamas est vicieuse.

Extraits du compte rendu officiel de la mission :
« Nous avons commencé par la visite de la savonnerie de Touqane au cœur de Naplouse, capitale palestinienne du savon. Avec 20 employés et finalement peu de postes de travail, de larges quantités de savon sont fabriquées ici. De l’eau, de l’huile d’olive et de la soude, et hop le tour est... presque joué! Deux personnes emballent les savons au rythme de 6000 par jour... la cadence est impressionnante. Le savon, c’est l’image de Naplouse. Nous en achetons quelques- uns. Beaucoup d’entre nous en ont déjà acheté en France. C’est un petit moyen pour contribuer à soutenir l'économie palestinienne, brisée en très grande partie par les Israéliens. Il y avait avant une trentaine de savonneries à Naplouse. Il en reste aujourd’hui trois ou quatre, beaucoup ayant été détruites ou n’ayant pu survivre dans une économie totalement ruinée.
Cap ensuite sur la caserne des pompiers de Naplouse, la plus grosse de Cisjordanie (et Gaza) avec 70 pompiers, créée en 1958 et pourvu d’équipements modernes. Nous sommes reçus par les responsables de la caserne. Ici les pompiers sont des civils dépendant de leur municipalité. Nous découvrons leur rôle phare dans la seconde intifada, plus violente que la première parce qu’armée. Ils gardaient alors un lien direct auprès des Palestiniens, devenant un interlocuteur privilégié alors que l’armée israélienne occupait les lieux. Ils ne demandaient pas l’autorisation de l'armée israélienne pour intervenir où on les attendait, celles-ci prenant trop de temps par la médiation de la Croix rouge. Ce qui a engendré des répressions de la part d’Israël. Certains pompiers sont blessés par des soldats israéliens, qui ferment parfois les accès de la caserne, empêchant les pompiers, emprisonnés dans leur propre bâtiment, de partir sur le terrain. Ils ont même tenté de détruire les bâtiments mais les pompiers se sont interposés devant les bulldozers. Les pompiers considèrent qu’ils ont joué un rôle "humanitaire" dans l’intifada. Représentant alors la seule "autorité" palestinienne (la seule police était israélienne), ils étaient les premiers contacts par la population pour tout type de problème, ce qui a créé des liens forts entre les gens de Naplouse et eux. Interrogés sur une éventuelle participation plus "active" de leur part dans la résistance, ils sourient... 90% d’entre nous ont fait un séjour en prison, disent-ils en guise de réponse. Aujourd'hui, ils interviennent régulièrement pour éteindre des feux allumés par des colons sur des terres palestiniennes autour de Naplouse (blé, oliviers), même en zone C (contrôle israélien) : les pompiers israéliens y éteignent les feux naturels, mais pas ceux allumés par les colons. Ils nous racontent la dernière technique des colons : mettre le feu à un petit chien qui, en brûlant vif, court au milieu des blés et répand ainsi plus rapidement l’incendie. No comment.

Leïla »

« Dans l'après-midi, dimanche 9 août, nous avons été visiter une radio locale, Voice of An-Najan. Cette radio se situe au sein de l'université de Naplouse. Elle est entièrement financée par cette université publique et a 9 salariés. Elle est intégrée dans le programme des étudiants qui veulent apprendre comment créer une radio et donc s’adresse en partie au milieu universitaire mais la particularité c’est qu’elle est aussi une radio locale pour tout le Nord de la Cisjordanie, une partie de Nazareth, et aussi pour l’étranger via son website en arabe et en anglais
Elle prend toute son importance non seulement pour la communauté qui a besoin de se développer et c’est une bonne médiation,la radio étant le média le plus investi. On peut l’écouter en voiture ainsi que sur son portable. C’est aussi important pour tous les palestiniens à l’étranger qui veulent suivre concrètement comment se développe leur peuple par des exemples concrets. Il y a des programmes sur la vie locale, des programmes culturels, et éducatifs, des informations, des discussions politiques où les gens peuvent participer en téléphonant à l’antenne. Donc en gros, une radio locale centrée sur la vie quotidienne, la culture et l’éducation. Elle est très appréciée par la communauté car elle n’est pas commerciale ( à but non lucratif) et ce n’est pas non plus une radio politique. Elle commence à devenir un outil de développement local. Elle représente 54% de l’audimat, et est écoutée par un million de personnes. Cette visite venait à point pour nous car nous nous demandions de quels médias disposaient les palestiniens. Il y a aussi une radio officielle de l’Autorité Palestinienne et 40 radios privées.
Un projet de télévision communautaire est aussi en chantier.
Nous avons aussi rendu visite à Project Hope, une ONG qui s’occupe des enfants (de 10 a 15 ans) des camps de réfugiés. Elle leur donne des cours d’anglais, de français, d’art thérapie etc... Mais tente aussi de donner envie aux enfants d’étudier, en gros, plutôt que vivre dans la rue. Elle fonctionne grâce au bénévolat d’internationaux qui viennent donner les cours.

Nathalie »

Nous finissons la journée par une visite très particulière à Garezim, le village des Samaritains situe sur les hauteurs de Naplouse. Nous traversons une partie du village et entrons dans une boutique où nous discutons avec le responsable qui nous explique ce que sont les Samaritains, un document à la clé.
Les Samaritains sont des hébreux d'avant les Juifs qui basent leurs pratiques religieuses sur la Torah également (et sont d'ailleurs considérés comme Juifs par Israël, ce qu'eux récusent, les Juifs auraient trahi la Torah). Ils ont une vie communautaire très stricte – ceux qui ne vont pas à la synagogue sont bannis. Ils parlent et écrivent l'hébreu ancien. Ils ne sont plus que 750 dans le monde : la moitié dans ce village, l'autre à Tel Aviv. Ils ont les deux nationalités palestiniennes et israéliennes mais ne revendiquent aucune des deux, même s'ils vivent en Palestine avec les arabes depuis des siècles. Nous rencontrons également un vieux religieux, avec son chapeau caractéristique d'un joli rouge et une longue barbe blanche, très calme et souriant. Et nous faisons la connaissance d'un professeur arabe de l'Université de Naplouse venu en visite avec ses étudiants. Très engage, il nous parle du boycott et revendique que les Samaritains sont des Palestiniens.
Ils peuvent se déplacer librement, mais l'entrée de leur village est contrôlée par un check point israélien, les Palestiniens ne peuvent les visiter que sur autorisation spéciale, la encore. C'est notre premier vrai check-point ou nous devons montrer pattes blanche, nous voyons tout autour du village la colonie, les postes avancés en haut des collines (les terrains qu'ils occupent avec des caravanes avant que les colonies s'y construisent).


Quelques éclairages supplémentaires sur les mentalités :

Layali "On n'a jamais cru à la Paix, on sait qu'on se battra toute notre vie. On attend la 3e intifada"
Amjad dit ne pas détester les Israéliens "On les connait depuis longtemps". Selon lui, les Israéliens disent qu'ils tuent les Palestiniens parce que ce sont les ordres. "it's a game". "Nous aussi on joue ce jeu, on met le masque" Mais il dit que si demain l'intifada reprend il sera le premier à tuer ces soldats avec qui il discute. "Il faut se détacher, le vrai règlement de comptes se fera après la mort" Amjad n'aime pas les gens des camps de réfugiés et il dit "ils ne nous aiment pas". Ils sont accusés de vivre mieux que les autres Palestiniens grâce aux aides de l'UNRWA. D'ailleurs, il n'aime pas trop non plus les arabes d'Israël.

Nous passons la soirée au bain turc, avec hammam, sauna et massage bien mérités, surtout après un gros moment de tension dans le groupe. Un peu inévitable, après presque une semaine a vivre ensemble, des moments forts et stressants.

Reportage sur France 3 sur un échange universitaire entre des étudiants de Naplouse (dont Layali) et de Cergy-Pontoise.

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