20/08/2009

Les viols de la Ville Sainte


La mission s'est finie mardi (je ferai plus tard le récit de cette journée a Ramallah qui fut un parfait point final à notre séjour), mais pour ceux d'entre nous qui restent encore a Jérusalem, les surprises continuent.

Jusqu'à présent, nous considérions la vieille ville, où se situent la plupart des lieux saints de Jérusalem, comme un lieu préservé de l'oppression raciste d'Israël. La cohabitation au sein de ses murailles de communautés juives, arabes, chrétiennes et arméniennes (chacun dans des quartiers déterminés), à laquelle il faut bien ajouter la communauté de touristes, pèlerins ou pas, nous semblait respirer dans l'idéal un esprit d'Universalité, souvent de tolérance, ou tout du moins d'une indifférence pacifiante. Pour plusieurs d'entre nous, cela allait presque jusqu'à nous agacer : quand un marchand vend des T-shirts avec indifféremment "I love Israel" et "Free Palestine", ça laisse a penser que le business touristique a totalement annihilé leur conscience politique, et donc leur idéal de justice.

Mais, alors que nous faisons depuis 2 semaines des allers-retours entre notre auberge, située au cœur de la vieille ville, et les différents points de chute de notre mission, ce n'est qu'hier que nous avons vraiment pris conscience, collectivement, que même la vieille ville est atteinte en son cœur par la logique de harcèlement sioniste. Ce n'est qu'hier que nous avons compris que le visage pacifique des commerçants du quartier arabe dissimulait des tragédies dans les arrières cours de la vieille ville.



En discutant avec un garçon du quartier arabe à qui nous demandons notre chemin, nous découvrons que la rue où nous sommes était encore totalement fermée il y a quelques heures. En effet, depuis plusieurs mois, des manifestations de Juifs s'y déroulent. Sous prétexte d'aller prier à la synagogue, ils tentent en fait à chaque fois de rentrer dans l'esplanade des mosquées. Ces derniers temps, cela arrive une fois par semaine. Les commerçants sont à chaque fois prévenus la veille pour le lendemain, et doivent alors fermer boutique et se cacher chez eux pour plusieurs heures. En effet, notre ami nous raconte qu'une fois, alors qu'il était obligé de sortir chercher sa voiture pour emmener sa mère a l'hôpital, il s'est fait tabasser par les manifestants et s'est retrouvé lui-même à l'hôpital, jambe et nez cassés. Le comble, c'est que directement en sortant de l'hôpital il a été arrêté par la Police qui l'accusait d'avoir jeté des pierres sur les manifestants.

Quelques minutes plus tard, nous discutons avec le garçon du restaurant où nous sommes attablés. Lui refuse de fermer boutique, ce qui est un manque à gagner non négligeable à chaque fois. Cela l'a amené à faire de la prison pour avoir défendu son magasin en cassant la figure, avec ses voisins, à ceux qui s'y attaquaient. Mais "Nous ne partirons pas : No way ! NO - WAY !!" C'est le premier Palestinien qui nous livre avec une telle colère, à chaud après une énième humiliation, sa furieuse détermination à défendre son droit de rester là.

De fil en aiguille, une histoire nous amène toujours à une autre. Grâce au jeune homme à la jambe cassée, nous découvrons aujourd'hui l'association "Old City Youth Association", qui est un centre socioculturel proposant des activités pour les enfants, les jeunes et les femmes arabes de la Vieille ville pour les aider à dépasser leur quotidien difficile. Le directeur Samir nous parle de son centre, financé par la Fondation d'un ancien premier ministre suédois (les Suédois sont très présents aux côtés du peuple palestinien). Un groupe de jeunes revient d'ailleurs tout juste d'un voyage là-bas, et ils attendent l'arrivée de leurs correspondants du grand Nord. Mais Samir nous parle surtout beaucoup de politique, à travers le quotidien du centre, harcelé par Israël qui fait tout pour l'empêcher de vivre (la Vieille ville de Jérusalem est totalement annexée par Israël). Des soldats contrôlent régulièrement l'entrée du bâtiment. Samir nous parle aussi de la scission des familles entre ceux qui vivent a Jérusalem et ceux qui sont en Cisjordanie. Et de cette stratégie de tout faire pour que les arabes d'Israël perdent leur citoyenneté ou leur carte de résident israélien. Si un Palestinien d'Israël a le malheur de passer trop de temps en Cisjordanie, ou à l'étranger, il peut perdre du jour au lendemain son droit de retour. C'est ce qui est arrivé au frère de Samir par exemple qui est désormais "coincé" à Berlin ou il était parti étudier ou travailler quelques années. Mais Samir est optimiste :
"Nous ne sommes pas seuls ni faibles. Nous savons que le futur sera pour nous".
Pour lui, le compte est simple : d'un côté 3,5 millions de Palestiniens unis dans leur histoire, de l'autre 3 millions d'Israéliens mais dont certains n'ont même jamais mis les pieds en Israël, à l'histoire préfabriquée. La bataille démographique sera-t-elle l'enjeu de demain ?

l'association Old City Youth Association

La visite se conclut par une rencontre a la fois très attendue et totalement inattendue.

Samir nous emmène chez les gens qui habitent au-dessus du centre (il faut imaginer de vieilles maisons de pierres entrelacées les unes aux autres comme dans d'autres vieilles villes). Nous entrons dans une toute petite cour qui donne accès à 4 maisons (je crois). L'une d'elles est habitée par des colons. Car oui, ici aussi à Jérusalem, il y a des colons qui s'installent dans les quartiers arabes et plantent tout de go leur drapeau israélien partout sur les toits, entre les fenêtres... (au passage, tout drapeau palestinien, de tissu ou dessiné, est fermement interdit dans toute la ville). Nous sommes déjà ahuris devant la proximité et la promiscuité que cette famille vit avec ces colons. Cela ressemble a Hébron. Je ne sais pas comment ils se sont emparés de cette maison-ci mais on nous rappelle en revanche les pratiques courantes en la matière : dès qu'une maison est laissée inhabitée même pour quelques jours, parce que la grand-mère est hospitalisée ou que le monsieur vient de décéder, des colons s'y installent, investissent totalement les lieux et bien malin qui arrivera a les en faire sortir ! Et s'il faut faire signer quelqu'un qui n'a plus sa tête ou un enfant pour faire semblant d'avoir une cession de propriété, pourquoi pas ?
Le jeune de la maison nous montre les caméras qui filment en permanence la cour de la maison, et la guérite juste au-dessus qui permet à un soldat de surveiller les allers et venues pour protéger les colons des arabes. Et bien c'est ce soldat [en fait j'apprendrai plus tard qu'il ne s'agit pas d'un soldat mais d'un jeune homme dont c'est le travail] que nous montons voir près de sa guérite, accompagnés par le jeune Palestinien qui le côtoie quotidiennement, et n'exprime ouvertement rien de ce qu'on pourrait imaginer à son égard. Nous avons à faire à un jeune homme blond de 23 ans, dont l'arme qu'il porte sur le côté jure avec un visage très doux (!). Visiblement intimidé par notre présence, il accepte cependant le dialogue. Il habite Jérusalem Ouest. Nous lui demandons s'il sait que les maisons qu'il surveille sont volées. "Pas volées, achetées", répond-il dans un anglais très hésitant. Nous lui disons qu'on lui ment, qu'il devrait s'informer, regarder les médias internationaux par exemple. Mais pour lui, ces médias ne disent pas la vérité, ils sont propalestiniens (il cite CNN, BCC...). Nous lui parlons du Mur, des colonies en Cisjordanie, d'Hébron. Il admet alors que les frontières d'Israël n'étant pas bien définies (et pour cause !) cela pose des problèmes. Le Mur n'est quant a lui "pas a sa place". Nous ressortons de cette rapide discussion interloqués. Pour ma part, je ressens avant tout de la pitié pour ce jeune homme victime d'un embrigadement évident. De la pitié et de l'espoir, car cette ouverture au dialogue qu'il a bien voulu avoir permet d'envisager peut-être un jour des changements de conscience chez les juifs Israéliens. Mais comment contrer la propagande dont ils sont victimes ? Victimes et responsables à l'infini, comment briser la machine infernale ?

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